Bonjour Pascale, tu es à l’origine de l’organisation de ce festival ?
Oui, à l’époque je travaillais en particulier dans le quartier Mistral et j’avais proposé d’organiser un festival de films sur des thématiques qui touchent les femmes dans notre société. Il faut savoir que le Planning familial ne propose pas que des consultations médicales sur la contraception ou la santé sexuelle et reproductive. C’est aussi un espace d’écoute, de rencontres, de discussion et de sensibilisation au sexisme et aux stéréotypes de genre, c’est notamment sur cet axe que nous intervenons en milieu scolaire. C’est donc ainsi qu’en 2015 a été organisé le premier festival Les Dérangeantes dans le quartier Mistral/Eaux-Claires, qui s’est ensuite élargi à d’autres quartiers. Notre objectif est d’éviter de présenter les films dans des salles de cinéma : ils sont un outil au service de la discussion.
Cette année, le festival fait une belle part aux films qui traitent des dominations croisées que sont le sexisme et le racisme, bien que tous les films ne soient pas sur ce thème.
Pour quel public ce festival est-il organisé ?
Pour tout le monde ! Mais il est vrai que nous ne ciblons pas particulièrement les militant·e·s, qui généralement ont entendu parler des films que nous présentons et qui sont plutôt bien informé·e·s des enjeux qui sont abordés. Notre communication est principalement numérique, faute de moyens, donc nous touchons un certain nombre de personnes connectées. Mais nous ciblons principalement les personnes, notamment les femmes, qui ne vont pas souvent au cinéma, qui vivent dans les quartiers dans lesquels nous organisons les projections et qui ont parfois peu l’occasion de voir ce type de film et d’en discuter.
Nous sommes un peu déçues qu’à cause de la baisse de ses subventions, le Prunier Sauvage n’ait pas pu nous accueillir cette année, c’est un bel endroit qui se prête bien à ce type d’évènement et qui peut accueillir du monde.
Avec qui organisez-vous le festival ?
Le choix des partenaires du festival n’est pas anodin. Le Planning familial travaille en collaboration avec des MJC, des Maisons des habitant·e·s, des bibliothèques, des salles de spectacles ou encore des cafés associatifs dans quatre des cinq secteurs de la ville de Grenoble. L’idée est d’avoir un lien avec des acteurs et des actrices de terrain qui sont au fait de la vie d’un quartier et qui peuvent porter une projection en facilitant l’accès à celle-ci, là où bien souvent il n’y a pas de cinéma. Ce sont des endroits où les salariés du Planning familial travaillent sur d’autres missions tout au long de l’année.
Nous travaillons avec des partenaires qui sont en mesure d’informer leur public de l’existence de ce festival : écrivaines et écrivains publics, référents familles, bibliothèques, etc. C’est aussi le fait de travailler avec les adhérentes de ces partenaires qui nous a permis d’organiser des projections à des moments stratégiques : par exemple, les femmes qui nous ont poussés à projeter Les figures de l’ombre ont proposé que la séance ait lieu le samedi après-midi, pour qu’il leur soit plus facile de se libérer pour venir le voir.
Y a-t-il beaucoup d’hommes dans le public ?
Malheureusement pas tant que ça, nous n’avons pas de statistiques précises, mais je dirais environ 10 %.
Pourquoi avoir choisi des films, plutôt que des livres ou d’autres supports ?
Le film est quand même assez accessible, les gens sont plus ou moins habitués à regarder la télévision, et ne sont pas étrangers aux images. Les films projetés dans le festival sont aussi majoritairement en version française, pour que celles et ceux qui ont des difficultés de lecture ou qui sont trop jeunes puissent les comprendre et les regarder. C’est un choix qui a été fait aussi parce que pendant les éditions précédentes des Dérangeantes certaines personnes ont été gênées par le sous-titrage.
Le format film permet aussi que les personnes puissent s’identifier à ce qu’elles et ils voient tout en restant à une certaine distance. Cette extériorité permet que les scènes présentées ne soient pas trop violentes pour elles et eux-mêmes. Et puis le film permet de faire un lien entre les spectatrices et les spectateurs, de créer une histoire commune. Il est ensuite plus facile de former un groupe et d’y prendre la parole.
Comment sont sélectionnés les films ?
Des réunions de coordination ont été mises en place, tous les partenaires ont apporté des propositions de films à projeter, chacun et chacune est reparti avec des suggestions et des idées de films à projeter chez elles et eux. Après cela, un temps est donné aux partenaires pour visionner les films, et en choisir un qu’elles et ils proposeront de projeter dans leur espace.
Cela dit l’équipe du festival tient à ce qu’une certaine ligne idéologique soit respectée. Il est important que les films abordent des problématiques qui soient proches des réalités que les femmes vivent ici en France pour que les personnes qui voient les films puissent se questionner en partant d’elles, de leur vécu. On évite aussi de montrer des films qui montrent uniquement l’autre et l’ailleurs, parce qu’ils peuvent donner l’impression que la réalité qui est décrite ne touche que des pays étrangers ou certaines religions. Notre objectif est de parler de situations que nos spectatrices peuvent avoir elles-mêmes vécues, ou leurs proches. Nous essayons d’être vigilantes pour que la priorité ne soit pas mise sur les films qui vont à coup sûr attirer du monde, mais sur des films qui ont quelque chose à dire et qui ne soient pas nécessairement consensuels.
On sait que vous intervenez aussi en milieu scolaire...
Oui ! Une proposition est faite aux écoles de projeter un film aux élèves et des ateliers sont organisés après pour parler du film. Ce sont les « Petites Dérangeantes ». Le travail est mené en collaboration avec les équipes enseignantes des écoles. Cette année nous proposons de projeter aux élèves La jeune fille et son aigle, c’est l’histoire d’une jeune fille qui va bousculer les traditions en voulant devenir dresseuse d’aigles alors que chez elle cette pratique est réservée aux hommes. Le Planning familial salue d’ailleurs l’engagement des équipes pédagogiques qui mettent ces questions dans leur programme.
Comment se déroulent les séances ?
Le format du festival a évolué depuis depuis sa première édition, mais nous avons maintenant une méthode qui fonctionne vraiment bien !
Tout le monde regarde le film ensemble et s’ensuivent des discussions en groupes plus petits.
Les films sont donc utilisés comme des supports qui serviront de socle commun à la discussion qui suivra la séance. À la fin du film, le public se répartit en petits groupes de 8 à 10 personnes autour d’une collation, une personne bénévole propose alors d’entamer une discussion en partant d’une citation tirée du film ou d’une question. Les bénévoles sont là pour que la parole circule entre tous et toutes, pour faciliter les échanges, veiller à ce que chacun et chacune puisse s’exprimer, et aussi pour éviter que la parole ne soit monopolisée par des « experts ».
L’idée est de faire en sorte que chacun·e s’approprie ce qu’il et elle vient de voir en repartant de son vécu, mais aussi de questionner des idées reçues et permettre des prises de conscience, de faire bouger des lignes, les amener à confronter leurs expériences et leurs savoirs.
Ce sont des rencontres qui peuvent être très riches : par exemple il y a deux ans nous avions projeté Les femmes du bus 678. À la fin de la projection, les différents petits groupes s’étaient demandé si une telle situation serait possible en France. Dans mon groupe, chacune des personnes pensait que non, que c’était vraiment une situation qui ne pouvait exister qu’à l’étranger. Jusqu’à ce qu’une dame prenne la parole, vers la fin du tour, pour expliquer qu’elle était régulièrement confrontée à ce type d’agression sexiste dans les transports. Cette prise de parole a permis à plusieurs femmes autour de la table de prendre conscience qu’en fait, elles avaient déjà vécu des situations similaires et que ces expériences étaient loin d’être anodines.
Quels sont vos objectifs pour de prochaines éditions ?
Nous espérons conquérir davantage de salles de spectacles, ce qui nous permettrait d’accueillir un plus large public. Là, il est difficile d’accueillir des classes dans les séances qui ne sont pas réservées aux scolaires, par exemple, parce que quand on a une jauge de 50 places dans une bibliothèque, avec une classe de 35 élèves on presque déjà rempli la salle !
On voudrait aussi faire plus de projections en milieu scolaire. Nous savons bien que les enseignant·e·s sont déjà très sollicité·e·s, mais les équipes pédagogiques qui travaillent avec nous au fil des ans nous réinvitent chaque année, elles y trouvent donc un vrai espace de discussion.
Et vous, c’est quoi votre pépite ? Qu’est-ce qui vous touche ou vous fait particulièrement plaisir ?
C’est que d’une personne et d’un quartier, nous sommes passés à l’organisation d’un vrai festival, dans lequel s’investit l’ensemble du Planning familial et qui a lieu désormais dans presque tous les secteurs de la ville, avec des projections qui s’étalent sur un mois complet !
Vous trouverez tous les détails des projections dans la partie A voir aussi.
Nous remercions vivement Pascale Perrin d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
Le Tamis vous recommande très chaudement d'aller assister à ces projections. Nous regrettons un peu que cette année, à la différence de l’année dernière, il n’y ait pas de projection en non-mixité choisie entre femmes (si vous voulez en savoir plus sur la non-mixité choisie et l’intérêt d’y recourir, vous pouvez consulter les ressources ci-dessous), mais nous espérons vous retrouver nombreuses et nombreux à ces séances !
http://www.decadree.com/portfolio/la-non-mixite-entre-emancipation-et-categorisation/
http://lmsi.net/La-non-mixite-une-necessite
https://infokiosques.net/IMG/pdf/sororite-24p-A4-fil.pdf